Jean-Michel Alberola, Le Mythe de Suzanne

Invité d’honneur du 60e Salon de Montrouge, Jean-Michel Alberola a exposé au Salon en 1980, 1982 et 1983. La Ville de Montrouge a alors acquis une des ses oeuvres

{ Jean-Michel ALBEROLA, Le Mythe de Suzanne, pastel et crayons de couleurs sur papier, 160*150 cm - OEuvre acquise par la Ville de Montrouge en 1982 lors du Salon de Montrouge.}

Explication par Jean-Michel Alberola en personne*

Le thème « Suzanne et les vieillards », est un thème qui vous cher.

JEAN-MICHEL ALBEROLA : C’est l’époque de Diane et Actéon aussi. Un sujet biblique et un autre mythologique. « Suzanne et les vieillards », c’est de fin 81 à début 83. Ça a duré un an et demi l’histoire, c’est tout.

Plus que ça, non ? Suzanne et les vieillards, c’est un titre que vous avez donné trois fois à vos expositions personnelles à la galerie Daniel Templon (en 1982, 84, 87).

J-M.A : C’est-à-dire qu’après je pars sur quelque chose de beaucoup plus libre. Je laisse tomber le sujet, mais je garde le rapport aux images. C’est très godardien ça, de s’éloigner du sujet premier. Les tableaux s’appellent toujours comme ça, mais il n’y a plus aucun rapport. Je cherche les titres les plus pratiques. Là, j’ai trouvé un titre pas mal, je le garde. Et puis à un moment, j’arrête.

S’il s’agit d’images sorties de leur contexte, qu’est-ce qui dans ce sujet vous intrigue au point de le reprendre à plusieurs reprises ?

J-M.A : À l’époque de Montrouge, je fais de la « singerie ». Je refais des tableaux classiques de Tintoret, Véronèse. Je les refais à ma façon. C’est pour rentrer dans la construction, pour comprendre comment un tableau se fait. De toute façon, pour tout c’est comme ça. Si on me propose une commande publique, mettons sur les élevages de chevaux, il faudra que j’en décortique les mécanismes. L’attachement à Suzanne et les vieillards, c’est pour comprendre le processus de la fabrication d’une image par la peinture. À l’époque, j’ai fait assez peu de tableaux et beaucoup de pastels et dessins. C’était comme ça.

C’est que dessins et pastels permettent une exécution… plus rapide ?

J-M.A : Oui disons ça, plus rapide, ça ne m’embête pas.

Si le sujet se prête à des interprétations multiples, quelle est celle qui vous intéressait ?

J-M.A : Des vieillards qui voient Suzanne se baigner, ou Actéon qui voit Diane se baigner. Dans les deux cas, il y a accusation, liée à la vue. Les vieillards tentent d’abuser de Suzanne en la piégeant, ils médisent d’elle et fi niront par être confondus et condamnés. Diane à Actéon, lui assène : « Libre à toi de dire que tu m’as vue sans voile », lui jette de l’eau, il se transforme en cerf et se fait dévorer par ses chiens. Ces thèmes furent beaucoup repris par la peinture occidentale. C’est la question du : que voit-t-on, à quel prix ? Ce qui m’intéressait c’était le mécanisme de vision. On voit la réalité et on l’explique par une histoire mythologique ou biblique, mais cela renvoie à un problème de tous les jours, sur le désir, etc. C’était là-dessus que je m’interrogeais. Mais pas longtemps au final, car j’ai bien vu que je tournais en rond.

Ici Suzanne a l’aspect plus tranquille, son corps révélé à la pleine lumière lorsque le corps de l’homme lui fuit dans l’ombre.

J-M.A : Ce n’est pas Suzanne, c’est Diane là. On le sait à la corne de cerf. C’est Diane qui touche la corne.

Le titre loin du sujet, j’oubliais… que dit alors cette image ?

J-M.A : Je ne peux pas interpréter… Enfi n, c’est une femme. Et Actéon qui court avec la corne de cerf. Voilà.

La main de la femme au contact du bois se noircit

J-M.A : Oui, ils se touchent, tout ça se touche.

Ensuite, sur la question de l’interprétation, Jean-Michel Alberola répondra que c’est au spectateur de « faire le boulot », et c’est là dans le « regarder plutôt que voir » que ça se passe.

* Propos recueillis par Anna Serwanska